Conçues sans spermatozoïdes, des souris vivent plus longtemps que des souris conçues naturellement. Est-ce un signe de l'impact néfaste du
génome paternel ?
Partout dans le monde, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes (84 ans contre 74 ans en Europe occidentale). Pourquoi ? Cette différence de longévité étant observée dans
d'autres espèces, la raison serait-elle – du moins en partie – de nature biologique ? Manabu Kawahara et Tomohiro Kono, de l'Université de Saga et de l'Université de Tokyo, ont étudié la question
en examinant les influences respectives des génomes maternel et paternel.
Les deux chercheurs ont mis au point une méthode qui a permis la naissance de 13 souris femelles n'ayant que du matériel génétique femelle, alors que normalement la moitié du génome provient du
père. Pour y parvenir, ils ont débarrassé des ovocytes de femelles nouveau-nés de leur « empreinte paternelle », ensemble des modifications chimiques (dites épigénétiques) de l'ADN qui empêchent
qu'un embryon soit produit sans fécondation (par parthénogenèse). Selon une technique mise au point en 2007, deux des zones chromosomiques impliquées dans l'empreinte paternelle ont été
inactivées. Puis, pour obtenir un embryon doté de deux lots de chromosomes, ils ont fusionné un ovocyte ainsi modifié avec un ovocyte de femelle adulte dont ils avaient éliminé le noyau, puis
transféré les chromosomes de cet ovocyte ainsi reconstitué (à un jeu de chromosomes) dans un autre ovocyte mature (comportant le second jeu de chromosomes nécessaire). L'embryon « bimaternel »
obtenu a ensuite été implanté dans l'utérus d'une mère porteuse. Pour disposer de contrôles, 13 souris femelles normales ont été produites par fécondation naturelle. Elles étaient de la même
souche et donc génétiquement très proches des souris bimaternelles.
Les deux lots de souris, élevés dans les mêmes conditions, se ressemblaient parfaitement sauf en trois points : les souris bimaternelles ont vécu en moyenne 186 jours de plus que les contrôles,
la durée de vie maximale étant de 1 045 jours au lieu de 996 jours ; leur poids moyen était inférieur ; enfin, leur concentration sanguine en certains globules blancs (les éosinophiles) a
augmenté.
Les théories expliquant les différences sexuelles de longévité ne manquent pas. L'une des plus cohérentes est hormonale : les estrogènes, hormones femelles, activeraient des gènes déterminant une
activité anti-oxydante plus importante dans les cellules et ainsi, une moindre dégradation du métabolisme cellulaire. M. Kawahara et T. Kono proposent une autre explication : il existerait un
lien entre la diminution du poids, la concentration sanguine d'éosinophiles et la longévité. Comme des différences génétiques ont peu de chances d'en être la cause, puisque les souris
bimaternelles et contrôles sont génétiquement proches, la réduction de poids serait due aux modifications qui touchent des gènes impliqués dans la croissance.
Les deux chercheurs pensent notamment que le gène Rasgrf1 (Ras protein-specific guanine nucleotide releasing factor 1), porté par le chromosome 9, joue un rôle particulier. Chez les mâles, il est
associé à la croissance post-natale. Il est soumis à l'empreinte paternelle, c'est-à-dire que seule la copie du gène transmise par le spermatozoïde s'exprime ; la copie d'origine maternelle est «
éteinte » par des modifications épigénétiques, si bien que le gène ne s'exprime pas du tout chez les souris bimaternelles. Le lien entre la croissance post-natale et la longévité n'est pas encore
avéré même si les chercheurs constatent qu'une moindre croissance, due à une restriction calorique, a des effets positifs sur la longévité.
Quant aux éosinophiles, ils témoignent d'une activation du système immunitaire chez les femelles bi-maternelles, ce qui entraînerait une meilleure résistance aux infections, qui peuvent toujours
survenir, même si le milieu d'élevage est stérile.
La cause de la longévité accrue résulte-t-elle alors du génome maternel supplémentaire? De l'absence du génome et de l'empreinte épigénétique paternels ? Difficile de trancher à ce stade.
L'influence des chromosomes sexuels semble toutefois réelle. Ainsi, remarquent John Tower et Michelle Arbeitman, de l'Université de Californie du Sud, chez les espèces (homme et drosophiles, par
exemple) où le mâle porte deux chromosomes sexuels différents (X et Y), les femelles (XX) vivent plus longtemps que les mâles. Mais c'est l'inverse chez les espèces, tels de nombreux oiseaux, où
c'est la femelle qui est dotée de chromosomes différents (ZW) : le mâle (ZZ) atteint un âge plus avancé que la femelle. Pour ces deux chercheurs, il y aurait donc bien des causes génétiques et
biologiques à la différence de longévité entre sexes.
Pourlascience.fr - 11 Décembre 2009